Décryptage : l’intelligence artificielle est l’affaire de toutes et tous

Notre colloque a illustré en quoi l’IA ne pouvait se réduire à une affaire de spécialistes, mais était l’affaire de tous, car intervenante dans tous les domaines. Cela suppose des choix en amont dans l’utilisation de ces technologies qui peuvent être implicites ou explicites, autoritaires ou démocratiques au plan scientifique et technologique, économique, social, politique, éthique, culturel.

La CGT a l’ambition d’une IA porteuse de progrès social pour toutes et tous.

 

1. Qu’est-ce que l’IA

L’IA est une des transformations majeures du numérique. Elle intervient de concert avec d’autres évolutions, comme les objets connectés (captant les infos utilisées par l’IA), les télécoms (qui les transmettent), la blockchain (qui peut sécuriser la traçabilité).

 

 

 

1.1.        Définition de l’IA

L’association des techniques de l’IA à la robotique d’une part, et aux données de masse (big data) d’autre part, conduit à des bouleversements gigantesques, qu’il s’agisse de l’emploi, de la qualification, des métiers, du management, des relations sociales, de la place de l’intelligence humaine, jusqu’aux équilibres mondiaux. Ces évolutions peuvent induire de grandes avancées de progrès pour l’humanité (tels les aides au diagnostic médical, la réduction des temps d’exposition aux scanners, la suppression des tâches répétitives, l’enrichissement et l’émancipation au travail, l’aide à la décision…), ou bien exacerber les rapports de domination par la monopolisation des données et la captation totale de la plus value en résultant, la remise en cause des libertés et de l’autonomie des individus.

Nos débats ont permis de comprendre ce qu’est l’IA, de faire la part de ce qui relève du mythe et de la réalité, tout en mesurant la dimension des profondes mutations qu’elle peut engendrer. En l’absence de déterminisme technologique, l’enjeu central est de penser, de décider de la finalité de l’utilisation de ces technologies (dès l’amont au niveau de la R&D et de ses applications), comme de la répartition des gains de productivité en résultant.

C’est pourquoi, la CGT avance des propositions pour permettre aux salariés, aux citoyens de peser sur ces transformations dans le sens du progrès social, sociétal, environnemental.

Avec l’IA, nous sommes à l’entrée d’une civilisation nouvelle, où se côtoient d’immenses espoirs et des risques aggravés.

Nous ne sommes plus tout à fait dans le prolongement du passé, mais déjà dans une préfiguration de l’avenir, où rien n’est écrit d’avance.

L’intelligence artificielle est une discipline scientifique qui étudie l’intelligence humaine.

Ses applications visent à faire faire aux machines des activités qu’on attribue généralement aux animaux ou aux humains. L’IA peut simuler l’intelligence humaine dans certains domaines, voire la surpasser dans sa rapidité de calcul, à l’instar de championnats de jeux de go ou d’échecs.

Ainsi, on peut simuler la perception (cf. les programmes de reconnaissance vocale), le raisonnement ou l’apprentissage, la communication. Les moteurs de recherche sont de l’IA, tout comme les logiciels Siri, le déverrouillage des portables par reconnaissance digitale. L’IA peut aussi diagnostiquer des cancers de la peau à partir de photos de grains de beauté.

1.2.      L’IA supérieure à l’IH ?

Certains théoriciens supputent que les machines devraient dépasser, et donc supplanter l’homme dans tous les domaines résultant, selon la loi Moore, des performances des machines doublant à un rythme exponentiel et des progrès de l’apprentissage automatique. C’est ce qu’ils appellent la singularité. Ce danger Trans humaniste existe-t-il vraiment ou relève-t-il de science-fiction teintée d’idéologie libérale rêvant de réduire, voire de ne plus avoir à rémunérer le travail ? Après la fausse prédiction d’usines sans salariés, on aboutirait à une société hyper rationalisée, mathématique, sans humanité. Une chose est de simuler le comportement du cerveau et d’avoir des comportements approximativement corrects, mais autre chose est de le remplacer. Aujourd’hui, l’IA est supérieure à des capacités humaines sur quelques créneaux étroits, ciblés.

L’intelligence humaine ne peut se réduire à une question de rythme ou de calcul, mais induit des sentiments, des émotions, de la conscience. L’intelligence humaine est liée à l’esprit, au corps et à leurs interactions avec leur environnement : l’intelligence est donc collective.

Un cerveau isolé est un cerveau infirme. C’est pourquoi le lien social est aussi important, ce que ne remplacera jamais la machine. La différence entre l’IH et l’IA n’est pas quantitative, mais qualitative : c’est le vivant qui crée du sens, pas le calcul.

II. Les ambitions de la France

 

 

Les progrès et la maturité de la science dans le domaine de l’IA liés au big data, lui permettent de développer de nouveaux produits de l’IA et d’investir de nombreux secteurs d’activités (dans la santé, la sécurité et la défense, les banques et assurances, l’industrie, les transports, la communication, l’agriculture, et même l’art).

Les économistes prévoient que d’ici une dizaine d’années, les produits de l’IA atteindront jusqu’à 15 % de la production totale des biens mondiaux.

Quelles sont les ambitions de la France dans le développement de l’IA pour ne pas perdre son indépendance décisionnelle sur les transformations de la société par l’IA ?

Le rapport Villani recense 135 propositions « pour une stratégie nationale et européenne en la matière et constituer un modèle de développement éthique et responsable de l’IA. » Cette vision soucieuse des utilisateurs d’une France leader de l’éthique de l’IA, est l’axe principal du rapport. Si nous partageons cette dimension sociétale de l’IA, qui doit être au service du bien commun et de la société, les indigences du rapport sur le développement de la politique industrielle, le devenir des acteurs industriels français, et les investissements dans la recherche, risquent fort de nous cantonner à théoriser de bonnes intentions, sans s’en donner les moyens ! Antoine Petit, patron du Cnrs, mettait en garde sur le fait de vouloir être les spécialistes de l’éthique, quand les Chinois et les Américains deviennent les spécialistes du business, et au bout du compte nous imposeraient leur modèle.

2.1. Se donner les moyens d’une dynamique industrielle pour l’IA

 

Peser pour un développement éthique de l’IA et en être le leader, implique de maîtriser certains processus et filières industrielles, en particulier la filière des composants et des systèmes embarqués.

Nos débats ont illustré la qualité de l’industrie française et européenne à travers la société StMicroelectronics ou Soitec… ou encore concernant les enjeux de l’informatique quantique, la qualité de la compagnie Bull, alliée au CEA et Teratec (pôle Europe en simulation numérique), qui sera dans le peloton de tête des superpuissances informatiques dès 2020, à condition de faire en sorte qu’aucune OPA financière ne vienne dépecer par unité cette entreprise. Car si Bull n’est pas une pépite financière, elle est une pièce maîtresse dans une politique industrielle nationale. Il est nécessaire que la France comme l’Europe s’opposent à des opérations financières qui dépèceraient ces entreprises et filières et mettraient le pays et l’Europe en dépendance de puissances étrangères, obérant ainsi gravement toute possibilité de redressement d’une industrie nationale.

Réaffirmer le rôle de l’État afin de disposer d’une véritable politique d’indépendance suppose, selon la CGT, d’instaurer un grand programme volontariste orchestré par la puissance publique (Cf. propositions du collectif confédéral Recherche CGT). Il faut tirer les enseignements des succès obtenus dans l’aéronautique, le spatial, ou le nucléaire, grâce à la mise en œuvre de programme public d’ampleur, qui ont permis dans la durée une qualité des efforts « recherche – investissements ». Intégrant la pluridisciplinarité nécessaire pour développer l’IA, ce grand programme serait un tremplin pour dynamiser les secteurs de l’industrie et les domaines scientifiques et techniques.

2.2. L’enjeu de Recherche fondamentale et de la R&D

 

 

Il n’y aura pas de développement de l’IA en France sans un solide secteur Recherche publique et privée.

Or, si la recherche française est au premier rang mondial pour ses chercheurs en mathématiques et en intelligence artificielle, c’est l’ensemble de la recherche qui est malade et menacée du fait de la faiblesse de ses investissements financiers et de ses moyens humains, y compris dans le secteur de l’enseignement supérieur et recherche, de l’explosion de la précarité et de la non-reconnaissance des qualifications, de l’inefficacité, de l’opacité et du coût des interfaces public/privé, du gaspillage des aides publiques.

Il est urgent d’y remédier et la CGT avance cinq grands axes propositionnels :

 

  • concrétiser ses engagements européens, en portant à 3 % du PIB ses efforts d’investissements dans la recherche, au minimum 1 % dans la recherche publique (au lieu de 0,8 %), et 2 % dans le privé (au lieu de 1,2 %).L’enjeu IA ne peut être relevé sans faire progresser le front des connaissances dans un large domaine. Le commissaire de l’espace innovation de l’université du Medef, le reconnaissait lui-même, déclarant « que les grands outils pour les entreprises qui ont recours à l’IA viennent principalement de la recherche académique ». Cela suppose de rétablir les financements récurrents dans les organismes publics de recherche et d’enseignement supérieur. Une réussite industrielle de l’IA ne verra pas le jour sans un investissement bien plus important du secteur privé en R&D, et notamment la R&D de moyen et long termes. Or, la mise en place de politiques d’incitation publique exorbitantes pour la collectivité, 10 milliards d’euros, est souvent utilisée pour diminuer le prix du travail et accroître la financiarisation plutôt que la recherche (ex. Sanofi : 7 milliards d’euros dépensés en dividendes et actions, 120 millions d’exonération au titre du CIR et suppression de 35 % des effectifs de la R&D. Ou encore Airbus, qui après avoir empoché des dizaines de millions en terme de CIR, et versé 3 milliards de dividendes et rachats d’actions, envisage de fermer le site de Suresnes, maillon important dans les technologies futures du groupe.)La CGT propose une refonte du système d’aide publique à la recherche privée en fonction des efforts d’investissements dans la recherche en propre des entreprises, en tenant compte d’un développement harmonieux des territoires.
  • Investir dans les moyens humains et la reconnaissance et le paiement des qualifications.La CGT propose de résorber la précarité de l’emploi dans la recherche notamment, et de rémunérer à leur juste prix, et non au prix le plus juste, les qualifications des docteurs, comme de l’ensemble du personnel de recherche. En ce sens, nous soutenons la position du rapporteur de doubler a minima les salaires à l’embauche.
  • Revoir les interfaces recherche publique et privée et créer des pôles de coopérations dans les territoires.Le rapport Villani pointe les difficultés de la recherche en amont à transformer ses avancées scientifiques en applications industrielles et économiques. Ce qui renvoie à l’inefficacité globale des interfaces entre la recherche publique et le monde économique. La Cour des comptes a récemment constaté que les SATT (Société d’accélération du transfert de technologies), les CVT (Consortium de valorisation thématique) et les IRT (Instituts de recherche technologique), qui se sont superposés aux dispositifs déjà existants dans l’ESR, présentent des résultats décevants au regard des moyens investis. Ce véritable millefeuille de structures d’interfaces conduit à une opacité de l’utilisation des fonds publics, avec un foisonnement peu lisible, une faible insertion dans l’écosystème de la recherche et sa valorisation, misant sur un modèle économique, l’autofinancement qui est mis en échec.Pourquoi s’entêter ! La CGT estime primordial que la colonne vertébrale des dispositifs d’interface passe par des grands groupes publics de recherche qui ont un maillage sur le territoire. (Utilité des CESER pour évaluer, solliciter ces dispositifs ?). Enfin, pour faciliter les transferts scientifiques et technologiques, notamment vers les Pme, Pmi, on pourrait s’appuyer sur des pôles de coopération issus d’une transformation des pôles de compétitivité.
  • Garantir la transparence et l’explicabilité systématique dans le secteur de l’IA.Boîte noire des logiciels, accès payant aux résultats de la recherche, secret des affaires, secret industriel, manipulation des données néfaste aux intérêts collectifs constituent autant d’obstacles auxquels il faut s’attaquer pour disposer d’une IA maîtrisée et profitable à la collectivité. C’est pourquoi la CGT demande que la recherche, l’information, les logiciels, les bases de données soient en accès ouvert ?Si la CGT adhère au fait que les systèmes IA soient auditables, celle-ci doit couvrir les aspects touchant aussi à l’humain et au social. La création d’un comité d’audit des technologies numériques et de l’IA doit inclure la participation des représentants des salariés, et ne pas être réservé uniquement à des personnalités et au patronat (Cf. Conseil stratégique de la recherche).
  • Fournir l’énergie disponible en quantité suffisante.Le développement de l’IA est énergétivore avec le déploiement des calculateurs, des centres de stockage, de traitement des données, d’objets connectés… Maîtriser le secteur de l’IA, c’est donc assurer la réponse aux besoins énergétiques tout en diminuant les gaz à effet de serre. Ce qui implique une recherche ambitieuse dans ce secteur.

 

III.Des risques sociaux, éthiques, politiques aggravés

 

 

 

Les applications de l’IA affectent tous les domaines et induisent des risques sociaux, éthiques et sociétaux aggravés de trois ordres :

  • la raréfaction du travail exécuté par les machines à la place de l’homme.
  • Les conséquences sur l’autonomie de l’individu, en particulier sa liberté, sa sécurité.
  • Les risques de monopolisation et de répartition inéquitable, de rapports de domination.

 

3.1.      L’impact sur l’emploi

La raréfaction du travail au temps des algorithmes est devenue une des questions les plus cruciales que la société doit affronter au XXIème siècle.

 

La première révolution industrielle était fondée sur l’automatisation des muscles humains et animaux.

  • Raréfaction de l’emploi

Aujourd’hui, il s’agit pour partie des cerveaux. Le travail humain sera-t-il inexorablement remplacé demain par les robots dans les usines, et les algorithmes dans les bureaux, et produire un chômage de masse ? Où bien s’adaptera-t-il et se réinventera-t-il à travers une masse de nouveaux emplois pour faire face à des défis inédits, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la réduction des inégalités, la transformation des modes de production et des systèmes de transports, la préservation d’eau douce, l’optimisation des productions d’énergie et de biens, en fonction de l’intérêt réel des populations, et non du profit de quelques-uns … Bref les besoins d’emplois ne manquent pas !

Une chose est sûre, la robotisation associée à l’IA va supprimer des emplois. France Stratégie a estimé que cette automatisation toucherait 15 % des emplois de l’hexagone. Certains métiers sont particulièrement concernés : (99 % des télémarketeurs seront remplacés par des chatbots, 99 % des caissières. Ce phénomène serait encore plus destructeur dans les pays en voie de développement : 2/3 des emplois pourraient être supprimés en raison de mouvements de relocalisation provoqués par l’essor des robots industriels. En fait, ce sont les emplois qui ne nécessitent ni empathie (les logiciels se comportent comme des sous-doués de l’interaction sociale), ni contenu de matière grise important, qui seront promis à l’extinction. (Logistique : les robots permettent d’obtenir entre 20 et 40 % d’économies de coûts).

  • Enjeu de la formation

L’enjeu clef est donc d’inverser le mouvement actuel d’appauvrissement du contenu des emplois créés. La seule solution est le développement de la formation.

Si un haut niveau de qualification initiale reste la meilleure garantie pour l’emploi, la part de la formation tout au long de sa vie s’accroît pour tous afin de pouvoir s’adapter à des cycles d’innovations de plus en plus rapprochés. La prospective sur l’évolution des métiers par branches professionnelles avec les partenaires sociaux et les formations à développer, y compris au niveau de l’éducation nationale, est une urgence économique et sociale. Cela doit se traduire par de véritables politiques de GPEC de filières et de territoires.

C’est le seul moyen pour éviter une polarisation du marché du travail, avec des emplois intermédiaires tenus par la masse des ICTAM, mais qui déclinent et un grand écart qui s’accroît aux deux bouts de l’échelle des activités précaires très peu qualifiées, non délocalisables, et une précarité qui s’étend à de nouvelles formes d’emplois qualifiés d’un côté, et une super élite, très bien rémunérée, avec de très hauts niveaux de qualification, de l’autre.

Un processus qui porte un creusement d’inégalités abyssal et un accroissement de travailleurs pauvres. Je vous renvoie aux propositions générales de la CGT sur la formation.

Intensifier la formation nécessite de porter l’effort consacré à l’ESR de 1,5 à 2 % du Pib pour tenir compte du glissement vieillesse technicité et de l’augmentation massive des étudiants (360 000 étudiants supplémentaires d’ici 2025).

  • Une transformation de l’emploi, du travail, du management

Au-delà du niveau de l’emploi, l’IA conduit à une transformation radicale des emplois, du travail, des modes de management et de l’organisation du travail. Le Conseil d’orientation pour l’emploi estime que 50 % des emplois seraient susceptibles d’évoluer profondément. Or, il n’y a pas de dialogue social sur ce sujet. Cela doit être un objet prioritaire de concertation et de négociation dans les entreprises et les branches, en prenant en compte l’expertise des salariés, pour enrichir, redonner du sens au travail et mieux travailler.

  • Utilisation des gains de productivité

Les gains de productivité substantiels associés à l’IA doivent permettre de travailler moins et mieux. Afin d’enrayer un chômage de masse, il s’agit de réduire de façon significative la durée du travail financée par une répartition des gains de productivité. La CGT propose une RTT à 32 heures hebdomadaires et la création de comités de suivi des gains de productivité dans les entreprises pour négocier leur répartition (cf. accord chez Orange).

  • Une nouvelle approche de l’entreprise

Comme avec toute nouvelle technologie du numérique, c’est toute la façon de travailler qui se transforme, l’organisation, les conditions de travail, les pratiques transversales, les synergies collectives qui impactent les logiques managériales, percutant la verticalité des décisions, la fuite en avant dans la baisse du prix du travail. Au final, c’est potentiellement une nouvelle approche de l’entreprise qui pourrait se dessiner.

Avec l’IA qui conduit à faire de l’intelligence le moteur de l’efficacité, l’entreprise serait un lieu d’intelligences et de créativité multiples, où l’IA serait complémentaire de l’intelligence humaine pour produire un bien ou un service et donc de la richesse. Dans une telle perspective, la place de l’humain dans la recherche de l’efficacité devient centrale et stratégique. La CGT avance, dans ce sens, des propositions pour construire un management alternatif et en finir avec le Wall Street management (cf. propositions de l’Ugict-CGT).

  • Transformation du rôle de l’encadrement

L’introduction de l’IA et des logiques du numérique vont aussi profondément transformer le rôle des RH et des managers de proximité. L’Ugict-CGT, sur appel à projet de l’Anact relatif au numérique et à la qualité de vie au travail, émet des propositions concrètes pour transformer le rôle des managers de proximité et des RH afin qu’ils puissent jouer leur rôle contributif et exercer leur responsabilité sociale à l’ère du numérique.

Elle avance aussi 26 propositions sur le « Numérique autrement » afin que l’encadrement, souvent en première ligne dans l’utilisation des nouvelles technologies et l’organisation du travail, puisse maîtriser le sens de son travail, être professionnellement engagé et socialement responsable. Il s’agit de co-construire avec les experts du travail que sont les salariés des droits d’intervention pour qu’ils puissent définir la finalité des NTIC, maîtriser leur autonomie au travail et préserver leur santé (cf. guides de négociation Droit à la déconnexion, Télétravail, interventions sur les forfaits jours).

  • Construire un véritable dialogue social et sociétal

Plutôt que de fragiliser les trajectoires individuelles et nos systèmes de solidarités, l’IA doit prioritairement être au service de la création de droits nouveaux pour mieux et moins travailler, augmenter le lien social et renforcer les solidarités. Cela suppose de revoir profondément « Le dialogue social », en panne aujourd’hui non seulement entre directions et syndicats, mais aussi dialoguer avec d’autres acteurs comme les sous- traitants, les fournisseurs, les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, les universités et organismes de formations. Revitaliser un véritable dialogue social et sociétal.

 

Préserver les libertés et la sécurité des individus

L’IA à des implications sur la vie privée. Il faut donc de la régulation : de la transparence, de l’éthique et du contrôle.

Ainsi, l’usage des technologies dites prédictives (à partir de l’extraction et analyse des données et comportements) en matière de police, justice, ou renseignements, pose de manière urgente le problème des libertés individuelles.

Deux craintes se conjuguent : la question du devenir du libre arbitre et de la maîtrise des décisions sur la justice prédictive par exemple, les risques de reproduction de biais, de discriminations, d’autre part. C’est pourquoi nous posons une forte intelligibilité des algorithmes. Dire ce qu’il y a à l’intérieur d’un moteur, ne dit pas comment il fonctionne. Expliquer un algorithme, c’est expliquer son objectif, les paramètres qu’il utilise pour l’atteindre, la hiérarchie entre eux. (Exemple d’un algorithme utilisé pour la gestion des patients au sein d’un hôpital). Quel est le principal critère programmé ? La rotation des lits la plus rapide possible ?

L’intervention dans le domaine de la santé ou du pénal sont par ailleurs des questions politiques au sens d’un pacte social collectif. Nous sommes attachés à veiller à ce que ces arbitrages politiques, véritables choix de société, ne soient pas confisqués au profit d’une gestion purement quantitative par algorithme !

L’IA n’est pas une super intelligence qui dépasse l’homme, qui risque de perdre le pouvoir face à la machine. Par contre, afin d’éluder leurs responsabilités et supprimer des emplois, des personnalités politiques délègueraient à des machines le soin de décider dans différentes situations de l’octroi de primes d’assurances, de la sélection des étudiants à l’université, ou de l’évaluation de la sentence des justiciables. Face à ces enjeux de démocratie, ne faudrait-il pas des échanges sur les usages de ces technologies entre les techniciens, les législateurs, les philosophes, les sociologues et informer les citoyens ?

La Cnil, chargée de veiller à la protection des données personnelles, réfléchit autour de ces questions éthiques soulevées par les algorithmes, faute de quoi ce sont les algorithmes qui vont créer le droit en établissant des corrélations qui deviendront des normes intériorisées sans débat démocratique. Le code fera loi.

C’est pourquoi il faut encadrer, publier, contrôler l’utilisation des algorithmes pour circonscrire la croissance du big data et du prédictif dans la sphère régalienne, au risque de la réduction d’un État de droit déjà mal en point.

Concernant les libertés individuelles, la CGT souscrit au droit à l’oubli relatif à l’ensemble des données privées issues des réseaux sociaux.

Comment stopper le profilage publicitaire des Gafam qui utilisent nos données personnelles ? La CGT propose une coopération européenne afin de créer un modèle alternatif aux Gafa éthique et responsable sur l’utilisation des données. Déjà il existe un opérateur alternatif à Google, Qwant, qui s’engage à garder la confidentialité des données personnelles.

Enfin, la programmation de règles éthiques dans l’IA devient indispensable concernant la robotique. L’utilisation des robots par les humains peut être imprudente ou criminelle, par exemple le cas des armes létales autonomes.

Des chercheurs réagissent.

En août, 100 chercheurs et responsables d’entreprises spécialisées dans l’IA et la robotique ont interpellé les Nations-Unies sur le danger des armes autonomes et appelé à la mise en place de normes internationales pour conjurer la « menace d’une troisième révolution de la guerre ». Cette interpellation des chercheurs fait suite à l’initiative, début 2017, de plusieurs dizaines de chercheurs renommés, réunis au Sud de San Francisco, autour du thème de l’IA bénéfique. Ils ont élaboré une charte de 23 points, appelée les « principes d’Asilomar » concernant les évolutions de la recherche aux côtés de grands axes comme le bien commun, le respect des droits de l’Homme et de la vie privée.

Le colloque CGT du 6 novembre 2018 intitulé « Où va l’intelligence artificielle » a illustré en quoi l’IA ne pouvait se réduire à une affaire de spécialistes, mais était l’affaire de tous, car intervenante dans tous les domaines. Cela suppose des choix en amont dans l’utilisation de ces technologies qui peuvent être implicites ou explicites, autoritaires ou démocratiques au plan scientifique et technologique, économique, social, politique, éthique, culturel.

La CGT a l’ambition d’une IA porteuse de progrès social pour toutes et tous. Elle doit donc faire des propositions sur deux grands axes :

  • des propositions de transparence, de contrôle démocratique de co construction de modèles alternatifs aux GAFAM.Face aux risques de domination des grands groupes financiers qui peuvent contourner, avec des techniques comme la blockchain, des institutions et des États et des intérêts collectifs ; combattre une vision de dinosaure de la future société réduite à des rapports contractuels d’individus isolés, une société d’entre soi, tribaux en fonction d’intérêts particuliers qui s’opposent au bien commun.

 

  • Des propositions de droits d’intervention des salariés, des citoyens afin qu’ils maîtrisent le sens de ces évolutions dans les lieux de travail, les territoires. Combattre le mythe de la singularité, la notion de déterminisme technologique qui ne fait qu’abonder les idéologies libérales castratrices du « there is no alternative ».

 

Or, comme le proclamait le congrès de l’Ugict-CGT en 2018 : « Rien n’est écrit d’avance », et rien ne s’écrira d’avance sans l’intervention des salariés, des syndicats, des peuples.

Conclusions pronconcées
par Marie-José Kotlikci
lors du colloque du 6 novembre 2018

#IA 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos

Publié le :
3 septembre 2019